Bilan Saison 1

Article publié à l'origine sur le Daily Mars le 4 avril 2016.


Je ne suis pas content HBO. Annuler la sympathique Togetherness alors que Vinyl tournera toujours l’an prochain (malgré des audiences et des critiques décevantes), ce n’est pas cool. Quand je ne suis pas content, plutôt que de tout casser comme un Richie Finestra cocaïné, je préfère écrire. Vous prouver à quel point Terence Winter n’a pas inventé l’eau chaude et est en train, mine de rien, de nous rejouer les pires clichés de la fiction US. En voici quatre.

1 – LA DESCENTE AUX ENFERS !

Richie Finestra est l’anti-héros classique d’un « drama prestigieux » avec tout ce que cela implique de mal-être viril, de morale douteuse et d’agressivité sociale. Sauf qu’en voulant suivre le chemin de Tony, Don et Walter, les réussites du genre, on se prend souvent les pieds dans le tapis : Lee Pace dans la 1ère saison d’Halt & Catch Fire (après c’est mieux), les héros tourmentés de True Detective, Low Winter Sun ou Ray Donovan. Même les comédies s’y mettent comme le prouve le récent exemple désolant de Flaked, la série de Will Arnett pour Netflix. Voilà donc le dernier modèle en date. Encore un, encore un de trop.

Un mâle blanc dans la tourmente, ça marche toujours pareil. Il faut une femme au foyer qui en a marre (on y revient plus bas), des collègues manipulés (Zak dans le 1.07), un personnage qui le met en face de ses problèmes (s’ils étaient mieux exploités, Lester ou Jamie pourrait s’en charger) et, bien entendu, un gros problème d’addiction. Comme Vinyl aime se vautrer dans l’excès, Richie est accro à l’alcool, à la coke et, comme l’a montré son excursion à Vegas, au jeu. Vous comprenez, c’est une reconstitution/satire du milieu musical seventies, fallait mettre le paquet ! Et vas-y que Richie plonge, devient sobre, replonge, redevient sobre et tout le parcours habituel d’un accro autodestructeur à la télé. Ses proches en font les frais, ses promesses sont du vent et il ne voit pas la fin du tunnel.

Ce procédé est devenu un moyen très paresseux d’offrir une excuse au comportement horrible d’un protagoniste. Vinyl le sait bien et, couplé à l’excuse « c’était comme ça à l’époque », elle justifie sans cesse les errances de notre anti-héros en chute libre. Si Richie se montre misogyne et raciste lorsque sa femme flirte avec un client noir (1.05), c’est qu’il a le nez plein de poudre et que les hommes se comportaient comme ça. Certes, mais pourquoi faire à nouveau de ce type de personnages le point central d’une fiction ? Pourquoi ne pas nous raconter l’industrie musicale du point de vue de Jamie ou de Lester justement ? Vinyl avait au départ des allures d’ensemble-show mais ressemble chaque semaine de plus en plus au Finestra Show où tout est permis puisque immanquablement, il y aura chute ou rédemption. Qu’on le trouve badass ou répugnant, Richie est le point d’accroche voulu par les scénaristes et ça, c’est non seulement vu et revu, mais c’est très fatiguant à la longue. Surtout quand on a déjà vu la filmographie de Scorsese. Surtout quand, pendant sept ans de Mad Men, Matthew Weiner, a su jouer intelligemment avec cet archétype, l’étudier sous toutes ces facettes plutôt que d’en faire un divertissement aussi prévisible. L’addiction est une maladie sérieuse que l’on peut traiter sérieusement ou non (cf : It’s Always Sunny in Philadelphia), mais mieux vaut être clair à ce sujet et ne pas juste s’en servir comme un outil scénaristique de plus.


Meilleur exemple : Je citais Don Draper mais remontons encore plus loin sur… la WB ! Entre 1994 et 2000, il y existait Party of Five (La Vie à cinq), une attachante série familiale où l’on suivait les mésaventures des Salinger, une famille d’orphelins qui doivent se débrouiller tout seul (un ancêtre moins trash de Shameless). Lors de la troisième saison, Bailey Salinger (Scott Wolf), toujours traumatisé par la mort de ses parents, sombre peu à peu dans la boisson. Un arc traité avec sensibilité et qui culmine dans le superbe The Intervention (3.20) où les proches de Bailey organisent une intervention qui tourne mal. L’addiction ne disparaîtra pas par magie et refera surface jusqu’à la fin de la série.

Autres bons exemples : Christopher (Les Soprano), Jackie (Nurse Jackie), Andy Sipowicz (NYPD Blue), John Carter (ER), Bojack (Bojack Horseman), Kellerman (Homicide), Rayanne (My So-Called Life), Bonnie et Christy (Mom).


2 – FEMME AU FOYER DÉSESPÉRÉE !

Comme je le disais, c’est inclus dans le pack complet « mâle blanc tourmenté » des prestigieuses séries du câble. La femme fatiguée par le comportement de son mari, qui menace de partir avec les enfants et qui, en attendant d’en avoir le courage, se morfond dans sa maison de banlieue en ressassant ses vieux rêves brisés. En général, elle n’a pas d’intrigue à elle, on la voit en début ou en fin d’épisode se plaindre auprès de son homme ou se confier à une meilleure amie au sujet de ce dernier. Au fur et à mesure de la série, elle mettra à jour les secrets du mari et choisira de s’en éloigner ou de rester. En général, ceux qui trouvent les agissements du mec badass trouvent sa femme reloue (voir la haine des « fans » envers Skyler White dans Breaking Bad).

Un « trope » vieux comme le monde et profondément sexiste mais qui avait pourtant tendance à disparaître depuis quelques années. Skyler, justement, avait reçu un traitement bien plus ambitieux à partir du moment où elle devenait la complice de Walt plutôt que sa prisonnière. Même chose pour Betty et Megan, les deux femmes de Don Draper qui ouvraient chacune à leur façon le champ des possibles pour ce genre de personnages, parvenant à exister pleinement sans être dans l’ombre de leur époux. Vinyl nous ramène donc en arrière et, comme l’a prouvé Mad Men, l’excuse du « c’était comme ça en 73 » ne tient pas. Olivia Wilde mérite mieux que ce personnage d’artiste frustré qui subit les excès de Richie et n’existe qu’aux entournures des épisodes, lors de disputes que l’on a déjà vu mille fois. Sa décision de foutre le camp est une fausse déclaration d’indépendance. Si la série voulait écrire correctement au sujet de Devon, elle aurait dû le faire dès le début et ne pas la faire exister qu’en opposition à Richie (je ne compte pas les flash-backs à la Factory où Devon ne semble qu’un prétexte à une énième reconstitution historique).


Meilleur exemple : Tout ce que je reproche ici à Vinyl, je le reprochais aussi à la première saison de Halt & Catch Fire, festival de clichés à n’en plus finir. Heureusement, la deuxième saison a réussit l’exploit de tout remettre à plat et de nous offrir par la même occasion de beaux personnages féminins. À commencer par Donna Clark qui, au départ, n’était qu’une femme d’informaticien torturée option bricolage. La mère de ses enfants se plaignant lorsqu’il rentrait tard. Dans la saison 2, les rôles sont inversés. Licencié, son époux fragilisé travaille à domicile tandis que Donna s’associe avec la visionnaire Cameron pour monter Mutiny, une entreprise de jeux en ligne alternative. On suivra au premier plan son travail, ses échecs et ses doutes, de sa gestion de Mutiny à sa décision d’avorter pour ne pas sacrifier ses ambitions. Ce n’était peut-être pas aussi simple en 1973, mais en 2016, il est tout à fait possible d’écrire un personnage féminin aussi complexe. Allez Olivia Wilde, tiens bon jusqu’à l’année prochaine, sait-on jamais !

Autres bons exemples : Carmela Soprano, Betty, Megan et Trudy (Mad Men), Skyler White (Breaking Bad), Margaret (Boardwalk Empire), Dr Liza Winter (Manhattan) et Tami Taylor (Friday Night Lights).


3- UNE AMBITIEUSE PARMI LES HOMMES !

Sur un casting principal qui compte 11 acteurs, on trouve deux femmes (ne vous méprenez pas, le personnage s’appelant Julie est bien un homme). En plus d’Olivia Wilde qui attend que Richie rentre à la maison, on a Juno Temple dans la peau d’une jeune recrue de la compagnie qui attend l’approbation de Richie. Le personnage tout aussi cliché de l’ambitieuse/jeune padawan/vent de fraîcheur. D’habitude, ce personnage est masculin alors, si Mad Men ne l’avait pas déjà fait avec Peggy, on saluerait l’initiative de Vinyl. Homme ou femme, un cliché reste un cliché et, contrairement à Peggy, le rôle de Jamie est pour l’instant dérisoire comparé à ses collègues.

Voilà ce qu’elle a pu faire depuis le début : essayer d’impressionner Richie mais finir par lui fournir sa drogue (1.01), essayer d’impressionner Richie en l’assurant que le fils de Mick Jagger est un punk avant l’heure (1.02), coucher avec le punk en question (1.03), pareil (1.04), rien (1.05), essayer d’impressionner Richie mais finir par lui fournir sa drogue (1.06), rassurer un collègue qui la traite comme de la merde et lui offrir un joint (1.07). Tout comme Olivia Wilde, Juno Temple est l’une des raisons pour lesquelles j’avais hâte de voir la série. Hélas, on ne la voit quasi pas.


Meilleur exemple : Peggy Olson n’aurait pu être qu’une secrétaire ambitieuse cherchant à faire son nid dans un univers sexiste et ça aurait déjà été intéressant. Mais Peggy Olson, c’était plus que ça. Même au bout des sept premiers épisodes de Mad Men, Elisabeth Moss avait déjà eu le droit à un personnage bien complexe en tant que secrétaire, que femme, qu’amie, qu’amante et que victime de son époque. À côté, la pauvre Jamie n’est qu’une figurante qu’on aimerait voir à la recherche de nouveaux groupes plutôt que de montrer ses seins au fadasse chanteur des Nasty Bits. Les deux sont possibles et si Vinyl n’était pas aussi occupé avec les errances redondantes de Richie, elle pourrait peut-être offrir plusieurs facettes au personnage de Juno Temple. Les scènes avec sa mère sont un bon début mais, attention… Peggy l’a déjà fait, en mieux.

Autres bons exemples : Joan (Mad Men), Lucy Elkins (The Knick), Cameron (Halt & Catch Fire)


4- LE FANTÔME DE LA RÉDEMPTION !

Un fantôme, c’est bien pratique quand les scénaristes veulent que leur personnage revisite leur passé pour changer leur présent. Cela arrive à un tournant dans sa vie, au moment où il doit revenir sur le droit chemin, trouver la rédemption. Le spectre peut apparaître lors d’un rêve, d’un acid-trip ou d’une simple hallucination. Le sixième épisode de Vinyl est intégralement bâti sur ce procédé, rendu encore plus manipulateur par le fait que l’on ne découvre qu’à la fin (même si tout le monde l’a deviné dès le début, comme avec Bruce Willis) que Richie navigue en plein délire. Encore une excuse à son comportement : son meilleur pote est mort par sa faute dans un accident de voiture et revient le hanter comme un mauvais diable sur son épaule. Paf, on retrouve Richie sobre l’épisode suivant, la magie fonctionne !

Quand ce cliché est bien exécuté, il peut nous raconter quelque chose de nouveau sur un personnage, expérimenter avec la forme ou, encore mieux, faire les deux en même temps. Ici, même si l’accident est très bien filmé, tout sonne creux, prévisible, forcé. On ne connaît pas assez Richie ni son ami pour vraiment croire à ce traumatisme, pour vraiment entrer avec lui dans ce délire salvateur.


Meilleur exemple : C’était une spécialité chez Les Soprano. Des hallucinations dues à une intoxication alimentaire (2.13), un rêve érotique (4.11), un coma prolongé (6.02) ou à cause d’insomnies comme dans The Test Dream (5.11), l’exemple le plus mémorable. On navigue sans cesse entre rêve et réalité, sans trop savoir où on se situe, en immersion totale avec les errances hautement symboliques de Tony. Là où Vinyl essaye de nous la faire à l’envers, David Chase et Matthew Weiner s’amuse à convoquer toutes les peurs et les traumatismes de Tony (le fantôme de Gloria) pour un voyage qui parvient à être absurde et à faire sens. Terence Winter a voulu jouer cette carte bien trop tôt alors que Richie était loin d’être un personnage aussi complexe que son modèle du New Jersey au bout de cinq saisons.

Autres exemples : My Screw Up (Scrubs, 3.14), The Visit (Titus, 3.18)

Je n’ai évoqué que les principaux clichés (il y a aussi la débauche à Las Vegas ou les parodies de mafieux) et j’ai choisi de ne pas m’attarder sur ceux concernant le rock & roll, ils sont bien trop nombreux. Mick Jagger, consultant et caution authenticité de la partie musicale, était déjà bien trop déconnecté de la réalité en 1973 et ça se sent. Non seulement la série accumule les idées reçues mais elle enchaîne les erreurs/anachronismes. Là aussi, il a suffi d’un vieux poncif (la voix off) pour s’en dédouaner : dans le pilote, Richie nous a expliqué que ses souvenirs étaient parfois un peu flous…

Attention hein, je suis peut-être passé à côté du propos ou du ton de la série. Peut-être qu’il s’agit d’une parodie ou d’une anthologie à la Fargo compilant les pires travers de Scorsese. Si c’est le cas, faites-moi signe.

Malgré tout, je veux encore y croire. Parce qu’il a fallu du temps pour que Boardwalk Empireexploite tout son potentiel (durant la troisième saison, celle où figurait Bobby Cannavale tiens). Parce que le cast reste appétissant (peut-être que Juno Temple aura le temps d’antenne qu’elle mérite) et la bande-son divertissante. Mais il va falloir faire preuve d’un peu plus d’inventivité pour que j’envisage de resigner mon contrat avec American Century.

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